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Laurenss

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La soirée s’annonçait humide. Laurenss lécha le dos de sa main gauche. La soirée s’annonçait très humide.
Elle ferma son livre de poche, le rangea entre deux plants morts d’orchidées et rentra son tapis de lecture dans la salle à manger. Armée d’un sceau d’eau, elle entreprit d’arroser les petites pousses qui fleurissaient dans les lézardes du mur reliant le balcon à la cuisine en chantonnant la trente-sixième improvisation de son voisin d’en face.
Vincent était, elle n’en doutait pas un instant, un grand pianiste et elle priait le Soleil toutes les nuits pour qu’il devînt célèbre. Il composait tous les jours, trouvait une ébauche de morceau tous les lundis matins en se réveillant après un dimanche partagé avec sa sœur Celia sur les bords du caniveau en buvant des bières à en devenir constipé. Sa musique devait donc suivre un rythme de course assez soutenu de sorte à être achevée avant dimanche.
Vincent s’était décidé à occuper l’appartement en face de celui de Laurenss deux ans après qu’elle ait choisi ce groupement de quatre immeubles surplombant un jardin, une piscine et un abattoir à cheval. Elle avait jeté son dévolu sur l’immeuble B, lui avait opté pour le D, Laurenss trouvait que cette coïncidence, ajoutée à celle de l’étage, constituait une preuve imparable de ce quelque chose qu’elle ne parvenait pas encore à identifier mais qui cependant, du moins l’espérait-elle fort, semblait bien là.
Une fois son balcon suffisamment trempé, Laurenss attrapa habilement la corde à linge spécialement conçue par elle en février dernier, la balança par-dessus la rambarde avant de se jeter à sa suite, s’y agrippant tout de même d’une main, la droite, par souci d’esthétique.
La descente était longue, parfois des voisins venaient se percher sur la corde pour se balancer vers les immeubles voisins ou pour simplement embêter les autres. Laurenss n’hésitait pas à brandir sa machette de poche pour se tracer un passage décent dans ce bourbier d’hommes. A peine eut-elle frôlé le sol que la corde lui glissa des mains et remonta en se roulant sur elle-même vers le balcon encore bien trempé.
Vincent de derrière ses rideaux déchirés qu’il avait achetés sur mesure, vit Laurenss remettre avec énergie sa machette dans la poche arrière de sa jupe et, sentant un fourmillement dévastateur s’approchant avidement de son bas-ventre, il attrapa le vase vide qu’il avait gagné en achetant un paquet de rasoirs jetables et s’en assomma, s’évanouissant pour un sommeil d’une heure vingt-trois fort précisément, comme il en avait l’habitude.
Laurenss défit ses cheveux qui tentèrent immédiatement de s’enfuir dans le vent mais le tyrannique cuir chevelu, souriant avec horreur derrière son cigare baveux, les tenait d’une main de fer et bientôt les mors tirèrent et les cheveux s’abattirent en cascade autour du visage blême de Laurenss.
Son coup de soleil dorsal lui faisait tourner la tête. Elle se demanda si elle pourrait boire ce soir-la, elle n’était même pas bien habillée. Son long manteau de fourrure ayant égaré quatre boutons sur les six, ses seins étaient totalement découverts et son nombril jouait à cache-cache avec le pan de manteau qui allait et venait devant lui au fur et à mesure des pas.
Un bout de verre surgissant de l’ombre se précipita sous les orteils du pied droit de Laurenss, le plus gros se sacrifia et le bout de verre repartit en sifflotant, fier de pouvoir rajouter ce trophée à la ceinture de morceaux de chair qu’il traînait nonchalamment derrière lui.
Du même pied mutilé, Laurenss éjecta la porte de son cadre en pénétrant dans la petite Maison Rose et Mamie Prune appuya sur un bouton qui ouvrit la fenêtre à gauche de la cheminée de sorte à créer un courant d’air suffisamment violent pour aspirer et désintégrer le parallélépipède rectangle de bois blanc et sa mite agonisante.
Laurenss s’excusa du retard, son livre ennuyeux avait allongé le temps mais comme ce dernier ne se laissait pas faire facilement, il avait claqué comme un élastique trop tendu, les heures étaient passées comme dans un claquement de doigts, ce qui expliquait son retard.
Mamie Prune lui sourit avec lassitude. Elle se doutait bien qu’elle ne constituait plus une priorité pour sa petite fille et elle lui demanda pourquoi elle n’était vêtue que d’une jupe et du long manteau qu’elle avait, Mamie Prune l’avait directement reconnu, volé au vieux facteur du temps où il était encore à la morgue, autrement dit deux jours plus tôt, avant qu’il ne fasse enlever par des cigognes rebelles. Laurenss sourit distraitement et alla chercher du whisky pour désinfecter son orteil inexistant.
Mamie Prune lui annonça qu’elle sortait, Laurenss l’embrassa puis la vit se poster dans la cheminée, enveloppée d’un sac en pastique vert des pieds à la tête, actionner une manette bleue à pois jaunes et s’évaporer vers le ciel étoilé qui surplombait en permanence sa maisonnette.
Quelques instants plus tard, par le même procédé, Laurenss atterrit sur ses coudes dans une flaque d’essence dont elle s’extirpa rapidement parce qu’elle allait prendre feu et courut vers la gendarmerie ou elle surprit Benoit et Georges, son frère et son supérieur commissaire, s’embrasser longuement dans la pénombre. Laurenss pensa à Vincent et le visage de Sally surgit en gros plan devant le baiser de Benoit et Georges.
Sally était cubaine, elle parlait espagnol et venait tous les jeudis à l’appartement de Vincent dont toutes les lumières s’éteignaient alors d’un coup, les rideaux se rebouchaient pour la journée et le piano ne se remettait en marche qu’après onze heures du soir.

25/07/13
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666Bruno's avatar
mis de côté pour le lire demain dans le train (: