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avec-un-e's avatar
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Cornelia se regarde dans le miroir. Il est déjà 28:56, elle a trois minutes de retard, son patron l’en informe par le biais d’un texto interactif et mouillé de café québécois qu’elle froisse machinalement et enfonce dans une lézarde qui prend le soleil parcourant de long en large le petit frigo bleu marine.

Son ordinateur clignote frénétiquement. Son impatience exaspère Cornelia, qui s’attendait à une complicité plus marquée de la part de son compagnon de travail et l’assomme sur le coup de sa barrette en forme de croissant de lune violet qui lui barre l’arrière du crane tout en lui enveloppant les cheveux à la manière d’un cobra gobant un rongeur lorsque celle-ci est attachée, parce qu’en plus de l’aveugler par intermittence de son petit signal lumineux bleu-orangé, il s’était mis à aboyer comme une poule chassée par un fauve du haut de ses haut-parleurs mal réglés.

A ce moment-là, Huguette, la vache bretonne de l’étage du dessus, rentre par la fenêtre qui donne sur le bureau de Clément le perroquet des vendredis matins et récupère l’aspirateur qu’elle avait fait passer par la cheminée pour que cela se fasse plus vite. Comme à son habitude elle examine les quelques plantes carnivores que Cornelia avait plantées sur le paillasson devant les toilettes et comme à son habitude elle les arrose de son lait mi-écrémé goût choco-noisette qu’elle concocte en un temps record de trois millièmes de seconde une fois la décision acceptée à l’unanimité des membres de son cortex cérébral.

Huguette n’appréciant pas Cornelia, elle lui enfonce à son passage l’extrémité de sa patte arrière gauche dans le genou correspondant en bêlant langoureusement et s’enfuit docilement vers la sortie de secours, armée de sa machine à absorber les morves de nez. Contemplant les secondes en moins sur le cadran de sa montre, Cornelia lâche la soucoupe volante qu’elle tenait tant bien que mal en équilibre sur son nez et qui explose au sol avec un bruit de bisou esquimau enrhumé, éteint les lumières, allume l’alarme hydraulique et laisse la porte d’entrée entr’ouverte, comme l’en avaient conseillé les innombrables patrons qui s’étaient succédés au cours de la dernière soixantaine d’années.

Quand elle était petite, Cornelia faisait souvent le même cauchemar.  Un cauchemar sonore plutôt que visuel. Elle ne voyait qu’une ligne droite qui circulait devant ses yeux puis qui se broyait, qui se rentrait dedans. Elle se rappelait surtout du bruit. Indescriptible. Plat comme le trait puis strident et puis touffu, confus, peut-être des cris, mais elle savait que c’était assourdissant, son cœur se mettait à battre très vite derrière ses paupières closes, parfois elle en était même essoufflée. Cette ligne lui faisait extrêmement peur. Pas pour elle-même mais pour les bruits à venir et puis toute l’incompréhension qu’elle engendrerait, des cris mais inaudibles, intraduisibles, une ligne mais invisible, irréalisable.

Cornelia ne fait plus ce cauchemar. Cornelia n’a plus peur de rien. Cornelia peut se retrouver au bord du wagon de train, les pieds secoués par le vent au-dessus du vide, les larmes réchauffant ses lèvres argentées, elle n’a pas peur. Elle sourit même. Le soleil se couche et peut-être que ce soir ce sera la dernière fois.


29/07/13
Les deux premiers viendront plus tard

Mon ennui ne sera plus le meme
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